Côte d’Ivoire: Face au suicide, une jeunesse trop souvent désemparée


Une récente étude révèle que la Côte d’Ivoire se place au troisième rang des pays africains les plus touchés par le suicide, particulièrement chez les 20-29 ans. Ils sont confrontés à de nombreux écueils : des taux de chômage et de déscolarisation élevés, ainsi qu’une forte inflation. Sans compter qu’à l’instar de plusieurs pays africains, la santé mentale est un tabou, que tente de briser la jeunesse ivoirienne à coups de sensibilisation et de groupes de discussion. 

Après avoir subi en Côte d’Ivoire des maltraitances physiques pendant son enfance, puis des violences verbales et des attouchements sexuels à trois reprises, Lina* s’est retrouvée complètement isolée et a eu l’impression de se détacher de son corps, de ne plus savoir qui elle était. Elle tombe dans l’anorexie. En 2019, elle veut en finir en avalant un verre d’eau de javel. “Je ne pensais qu’à mourir. Je ne me sentais pas aimée, je me sentais incomprise, j’avais l’impression d’être un poids pour mes proches”, confie à France 24 cette Ivoirienne de 22 ans.

À sa sortie de l’hôpital, elle est victime d’un nouveau coup dur. Sa mère décède. Cette dernière n’a pas éduqué Lina car elle souffrait elle aussi de troubles mentaux. “On disait qu’elle était folle, qu’elle avait été ensorcelée. Ce déni de l’Afrique sur la santé mentale a tué ma mère. Si ses troubles mentaux avaient été pris au sérieux et soignés, elle serait là aujourd’hui” regrette celle qui lutte toujours contre la dépression.

Lina n’est pas la seule ivoirienne à voir le suicide comme l’ultime solution. Selon une étude de l’Unité de Médecine Légale du service d’Anatomopathologie du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Treichville à Abidjan, 23 personnes sur 100 000 se suicident chaque année, principalement chez les 20-29 ans. Une population qui n’ose pas demander de l’aide par peur d’être stigmatisée.

“Pas de la sorcellerie”

Nourah Gbané a fait de la sensibilisation son arme de guerre. Elle a créé l’ONG Together CI il y a deux ans, après une dépression. L’étudiante en communication de 22 ans veut aider la jeunesse à prendre conscience de l’importance du bien-être mental et d’en parler. Dépendance affective, hypersensibilité, dépression ou encore bipolarité, aucun sujet n’est tabou.

Cet après-midi, elle a rendez-vous avec une dizaine d’adolescents. “Est-ce que vous prenez soin de votre santé mentale ?” lance Nourah aux jeunes de l’académie de football Daher d’Abidjan. Certains se grattent la tête, d’autres baissent les yeux, une ou deux mains seulement se lèvent pour répondre. “Moi j’avoue je ne prends pas assez soin de moi et de ma santé mentale, mais je sais que c’est important” répond timidement Bernardin Kouakou, maillot noir et orange de son club sur le dos. “Ma famille a un impact sur ma santé mentale, confie un autre, comment je peux faire ?”

Afin que le message soit mieux perçu, Nourah base son argumentaire sur leur passion. “En tant que footballeur, vous serez exposés aux critiques. Il ne faut pas avoir peur de parler, confiez-vous aux bonnes personnes, celles qui ne vous jugent pas et ne minimisent pas votre mal-être. La dépression ce n’est pas de la folie, ce n’est pas de la sorcellerie“. Et l’un de leurs coachs de surenchérir : “Le foot c’est mental, si dans la tête ça ne va pas sur le terrain, ça ne va pas aller”. Après deux heures d’échanges, Nourah conclut en partageant des ressources utiles tels que des contacts de psychologues et des pages Instagram qui traitent de la santé mentale.

Le vecteur des réseaux sociaux

Dans la liste figure le numéro de Yasmine Mouaine, connue sous le pseudo de “Yasmine neuropsy” sur Instagram. Cette neuropsychologue utilise les réseaux sociaux pour toucher le plus de jeunes. Dans son cabinet, situé dans un quartier sud d’Abidjan, la thérapeute prend le temps, en plus de ses consultations, d’enregistrer des vidéos de sensibilisation. Elle y apprend comment s’adresser à une personne en détresse, ce qu’il faut dire et ne pas dire. “On valide les émotions en disant : ‘n’aie pas honte de ce que tu ressens, tu as le droit’. Il ne faut surtout pas brusquer la personne donc l’idée serait de lui dire : ‘tu n’es pas obligé de parler tout de suite tu peux en parler quand tu en voudras, est-ce que tu as besoin que je sois là'”, explique-t-elle d’une voix dans une vidéo.

Le suicide est le thème de sa dernière vidéo.  “Le suicide ce n’est pas un signe de lâcheté. Une tentative de suicide, c’est surtout le signal d’alerte qu’une personne lance pour dire qu’elle n’en peut plus. Le suicide c’est le résultat d’une longue période de souffrance”, rappelle Yasmine Mouaine. La neuropsychologue de 26 ans utilise les canaux de communication de sa génération pour faire passer son message. “Instagram peut être un outil de destruction dans le sens où c’est le lieu où peuvent naître la comparaison, la jalousie, la frustration et le paraître. Mais moi, je choisis d’en faire un outil de réparation en adressant des informations utiles aux personnes qui ne peuvent pas consulter faute de moyen ou par peur”, précise Yasmine Mouaine à France 24 .

Chômage, déscolarisation et pression sociale 

Les initiatives citoyennes sont nombreuses en Côte d’Ivoire mais les spécialistes de la santé mentale le sont moins. On dénombre moins d’une centaine de psychologues à Abidjan, la capitale économique, pour 6 millions d’habitants. Sans compter leur tarif qui tourne autour de 20 000 francs CFA (soit 30 euros) pour un smic qui ne dépasse pas 75 000 francs CFA (soit 115 euros). De quoi freiner et rendre les chiffres sur le suicide alarmants.

En janvier, trois cas de suicides, dont deux étudiants et une enseignante, ont scandalisé l’opinion publique ivoirienne. Un an plus tôt, un rapport en Côte d’Ivoire alertait déjà sur ce phénomène qui prenait de l’ampleur. Sur 24 000 décès, 101 étaient des suicides.

“Le citoyen ivoirien fait face à une très forte pression sociale au quotidien :  le coût du transport qui varie chaque jour, la cherté de la vie, l’amenuisement du pouvoir d’achat. De plus, vous avez une jeunesse qui fait face au chômage ou aux difficultés de l’entrepreunariat”, avance à France 24 le sociologue Albert Yao. Selon lui, ces facteurs expliquent que la Côte d’ivoire soit dans le top 3 des pays africains les plus touchés par le suicide.

Les autorités ivoiriennes semblent prendre conscience de la situation. Parmi les plans d’action en réflexion figure le recrutement de psychologues dans les hôpitaux publics afin de les rendre plus accessibles à la population. Ce qui garantira également aux patients la prise en charge des frais par l’assurance maladie. En attendant que ce projet se concrétise, le ministère de la Santé mise sur la formation des professionnels afin de détecter et orienter les patients qui montrent des signes alarmants.

“La conscience collective associe le psy à celui qui traite la folie. Aller en visite chez un psy reviendrait donc à indexer celui qui y va comme un ‘fou’. C’est ce qui fait que la majorité préfère se tourner vers les guides religieux pour la prise en charge des troubles psychologiques”,constate Albert YaoLe sociologue reste tout de même persuadé que si les bons outils sont mis à disposition des Ivoiriens, ils auront une autre perception de la santé mentale.

 

 

Avec France


IZINDI NKURU

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